Préface de Son odeur après la pluie – Jean-Paul Dubois

« Il n’y a rien de plus simple que de vivre avec un chien. Il suffit, quand il rentre, d’écouter le bruit de ses pattes cliquer sur le parquet, de respirer son odeur qui, dans son sillage, imprègne discrètement le couloir de la maison, et de regarder filer les jours entre les touffes de ses poils qu’il abandonne un peu partout. Et puis un soir, vous n’entendez plus que le silence, les pièces, toutes, empestent l’absence et il n’y a plus rien, nulle part, à balayer et à aspirer. Et c’est à ce moment-là, cette nuit-là, à cette heure précise, que vous ressentez jusqu’au fond de vos os que votre chien est mort.

J’ai toujours éprouvé une joie enfantine à voir ma chienne boire, à l’écouter manger, dévorer ce que je lui avais cuisiné. Ce moment-là débordait de vie, de joie, nous offrait une espèce de bonheur primitif partagé. Ce soir-là, j’ai lavé son bol, les doigts sous l’eau brûlante, à frotter je ne sais quoi pendant je ne sais combien de temps.

Et puis j’ai lu Son odeur après la pluie. Et alors, ce monde depuis longtemps serré dans les armoires de la mémoire a commencé à s’ébrouer et, page après page, les bruits, les poils, les vétérinaires, les longues marches et les odeurs sont revenues. Les odeurs, et surtout celles que cuisine la pluie, fortes, animales, celles que détestent par-dessus tout les gens qui n’aiment pas les chiens. Son odeur est un livre magique, riche, le texte d’une sorte d’éthologue amoureux racontant avec grâce et élégance l’histoire émouvante, la vie tout simplement, d’un homme avec son chien.

Je ne sais pas ce qu’en dirait Cédric Sapin-Defour, l’auteur de Son odeur – même si j’ai ma petite idée là-dessus –, mais j’ai toujours pensé que dans une relation bien considérée, c’était le chien qui élevait son « maître » et non l’inverse. J’ai pris conscience de cela très tôt en m’apercevant que ma chienne comme nombre de ses congénères comprenait quelque trois cents mots du langage humain alors qu’il m’était quasiment impossible, malgré mon attention, de discerner les nuances primaires de ses aboiements. Imaginez que tous les soirs, vers 21 heures, pendant des années, elle vint s’asseoir devant le canapé et durant plusieurs minutes, ses yeux dans les miens, s’adressa à moi, modulant des vocalises et des timbres proches de la voix humaine. Les gens disaient « on dirait qu’elle te parle ». Ce qu’ils ne savaient pas, c’est qu’elle me parlait vraiment. Et que, lorsque nous étions seuls, je lui répondais. Chacun prisonnier de nos langages, essayant pourtant de montrer à l’autre que nous faisions l’impossible effort de combler ce vide qui séparait nos espèces. Sous d’autres formes, Son odeur relate l’intimité subtile, l’imprégnation mutuelle qui se crée entre deux espèces attentives. L’obligation, pour l’homme, de sortir de lui-même, de s’oublier, de se « désosser » pour comprendre l’autre. Il explique aussi avec beaucoup de douceur combien il est précieux pour un humain d’apprendre à se coucher par terre, juste pour avoir le bonheur de sentir son chien s’endormir la tête tout contre lui. Vivre avec un animal oblige à déchiffrer, à reconsidérer l’espace et le temps. À l’instant où vous ouvrez la porte de la maison, le chien devine votre humeur et, avant même que vous en ayez pris conscience, sait ce que vous avez dans la tête. Il a compris que vous allez l’emmener marcher dans la montagne, nager dans l’océan, traîner sur la plage, et que c’est au long de ces longues promenades, de ces pas enchaînés que vous allez vous unir pour la durée d’une vie, étant simplement attentif à la soif et la fatigue de l’un et de l’autre. Dans ce livre, l’auteur a une belle habitude, très signifiante, à l’égard de son chien : au plus fort de la chaleur, il lui donne à boire « de la bouche à la gueule ».

Ce texte est un précis d’intelligence et d’amour entre deux êtres que tant de choses pourtant séparent. Sauf une qui se profile dans le dernier quart du livre et que l’auteur évoque par cette simple phrase en parlant de son bernois vieillissant : « Quand va-t-il comprendre qu’il est mortel ? »

Je crois qu’un chien n’a pas à savoir ces choses-là.

Et c’est ce qui devrait le sauver.

Et pourtant arrive la fin. Des pages d’abord inquiètes dans les entrailles de vétérinaires dévoués, puis déchirantes à l’aube des ultimes jours. À l’instant du départ, l’homme regarde la bête pour la dernière fois et sait désormais qu’il va devoir « parler à quelqu’un qui ne lui répond plus ». Et là, bien sûr, parce que c’est tout à fait normal, maintenant, vous pleurez.

Quand elle est morte, j’ai fait incinérer ma chienne. Je suis allé chercher son corps congelé chez le vétérinaire et nous avons roulé ensemble, elle et moi, dans notre voiture, une dernière fois, pendant cinquante kilomètres. Arrivé sur place, un homme a ouvert le hayon, l’a faite glisser sur un chariot et, avec une étonnante douceur, a simplement dit : « Ne vous inquiétez pas, on va en prendre soin. » À perte de vue, une lourde pluie de printemps tombait.

Depuis trois ans, ses cendres et sa laisse sont rangées sur la droite de mon bureau.

Alors voilà, le livre que vous allez lire est un précis d’amour et de conduite qui vous guidera peut-être jusqu’à cette frontière immatérielle au-delà de laquelle les chiens parlent aux hommes. Vous allez y apprendre d’étonnantes choses sur eux et sur vous-même. Pour ma part, ce texte a aussi réalisé » un petit miracle : au fil de pages et des mots déposés, il m’a permis de retrouver le merveilleux bruit des pas de ma chienne trottant dans la maison, la voix de ses conversations nocturnes et surtout, surtout, Son odeur après la pluie. »

Son odeur après la pluie, Cédric Sapin-Defour

Tiphaine – Éducatrice canin à Dijon
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